dimanche 16 décembre 2012

Pour l'amour du bus


C'est le pare-brise dégoulinant que mon père me mène, ce matin, au pied de mon bus. Un détour par la case de Guillaume nous offre cinq minutes de retard (supplémentaire) et nous partons, quatre compères dont un vélo. Et voilà que reviennent les souvenirs. Deux années de lycée passées à s'acharner à être systématiquement en retard, tout en veillant à ne modifier aucun des paramètres de ces départs, noyés sous le stress.

Les habitudes, dit-on, rassurent l'Homme.

Départ en trombe de Saint Aignan, croisant déjà les doigts pour que rien n'obstrue notre chemin. Là, le silence rituel, comme pour apprécier l'ampleur de l'échec passé; celui qui, dix minutes plus tôt, me fit mentir au « Je descends » de mon père, en répondant « J'arrive tout de suite ».
Au port, le bus, souvent - généralement - avait disparu. S'en suivait - toujours - une course infernale à travers la ville éteinte, avec pour seuls repères les feux rouges, seul objectif un bus filant à toute allure. Seconde vitesse qui hurle, yeux plissés pour discerner la silhouette camionesque et concentration maximale pour anticiper déplacements du bus et cycle des feux de signalisation.
Fascinante chronicité de ces courtes histoires dont même la fin était semblable aux précédentes: le père effectuait un sprint final le conduisant à la hauteur du bus, dont il empêchait le redémarrage en barrant la route. Moi, innocent, je profitais de l'énervement du chauffeur pour me glisser entre les robustes portes en bredouillant un timide « merci ».

Léger pincement au cœur en repensant à ces trajets matinaux froids et stimulants. Aujourd'hui, reste l'habituelle sieste, après laquelle la fatigue se fait doublement sentir; un coude bancal appuyé contre le rebord de la vitre et soutenant une tête trop lourde, balancée par les secousses du chauffeur. La lutte contre ce sommeil, logiquement merdique, parfois s'envisage, mais le ronronnement du moteur, mêlé à l'imposante gravité des débuts et des fins de journée, entraîne doucement la tête vers l'arrière.
Le menton tendu vers les cieux, le cou broyé comme un vieux, quelques minutes suffisent pour que brusquement, s'échappent les notes d'un bien gras ronflement.

mercredi 12 décembre 2012

Elle approche, la fin du monde!

 S'il ne devait y avoir qu'un "article" déposé ici, en 2012, autant choisir celui-ci.
Bref comme la fin d'un monde, absurde, lui aussi.

La patronne du bistrot dans lequel je perds régulièrement des heures à dessiner en buvant, par micro-gorgées, un café tiède parlait fort, hier, au téléphone:
« Il faudrait que je change le menu pour la fin du monde.
J'ai une copine, elle s'est acheté les rations de survie, et tout... si! J'te jure!
Je lui ai dit que c'était n'importe quoi: si c'était vraiment la fin du monde, le 21, on mourra, et ça servira à rien, les réserves!
Moi, si c'est vrai, je tombe les 90 bouteilles que j'ai dans la cave, je finis alcoolique! Ça vaudra mieux, va!
Avec ça, si je crains quelque chose... 90 bouteilles de vin, ça fait, hein!
Rien que une, on a mis deux jours, samedi, pour la boire. À ce rythme... »

samedi 25 juin 2011

Même pas chiche!

Discussion hilarante à laquelle j'ai pu assister hier soir, vers 1h du matin, dans un parc:


- Non, mais écoute, mec, y'a aucun risque: toi t'as juste à choper l'bordel et moi je m'occupe du reste!

- Mais qu'est ce que tu veux en faire? Même en pharmacie c'est facile de trouver du matériel.

- OK, mais ça c'est pour des p'tits trucs; moi j'veux des choses un peu plus grosses; de quoi faire un bon pétard, quoi!

Le second se marre,
- Ah, ben pour ça, il faut partir dans l'uranium, alors...

- Je sais pas, mec, c'est toi l'chimiste! J'te dis, toi tu me trouves les produits et moi je bricole le machin.

- Là, c'est dans les lanthanides qu'il faut chercher, c'est sûr; avec ça, t'as le quartier qui part, tu peux en être sûr!

- Ouai, ouai, mec, mais tranquille: je vise pas le quartier, moi, je veux juste un bâtiment, tu vois? J'ai pas envie de faire sauter des gens, c'est juste pour le symbole, tu vois?

- De toute façon, y'en a pas, au labo, c'est trop dangereux. Y'a plein de produits mais ça dépend de ce que tu veux.

- J'te dis, moi j'y connais rien, j'veux juste faire péter un truc.

- Mais j'aurai quoi en échange?

Offensé, l'activiste en herbe hausse le ton:
- Comment ça, tu auras quoi? Tout de suite, le fric! C'est pas possible, ça... moi j'te parle de mes idées, je m'en fouts du fric! Et puis, c'est juste un service rendu à un ami.

- Je veux bien mais moi j'ai besoin de tunes! J'ai toujours pas payé mon loyer pour Juin, j'suis dans la merde.

- Ben... j'sais pas moi... t'as besoin de combien?

- 200.

- 200? Ouai ça peut s'trouver, ouai...
Bon, mais mettons que j'te les trouve, j'veux un truc qui marche, hein?!

- ... mais je sais pas ce qui marche, moi.

- C'est toi, le chimiste! Vous apprenez bien des trucs, en cours, non?

- Ils nous apprennent pas ça, ils sont pas fous. Et puis de toute façon, je suis nul pour voler.

- Comment ça, t'es nul? T'as bien déjà volé du jambon à Carrefour, non?

- Ouai mais j'me suis fait choper...

L'autre éclate de rire,
- Ah ouai, je vois le type...

Puis le cambrioleur ajoute:
- Je me suis même déjà fait prendre en voulant carotter une langue de chat; le vendeur m'a dit : << Monsieur, qu'est-ce-que vous faites, là? >>
Et puis si j'me fait attraper... j'ai envie de finir mes études, moi!

- Mais tu vas pas t'faire prendre! De toute façon, si quelqu'un tombe, c'est moi, c'est pas toi!

- Non, désolé, mais c'est trop risqué, j'peux pas...

- Pfff...
Il tend sa bière,
- Bon, 'santé', en tout cas...

- Ouai, 'santé'!

dimanche 5 juin 2011

"Les soldats sont là, perce un tonneau"

Quatre heures du matin, rue du 18 Octobre,
mes trois compagnons ralentissent pour me souhaiter une bonne nuit et repartent aussitôt vers leur lit respectif.
Moi, profitant de l'air frais et des derniers instants d'obscurité, j'avance tranquillement sur ma bécane, grinçante.

J'ai cru apercevoir une ombre, sur le trottoir opposé; ainsi, rejetant un coup d'oeil, je vois un bonhomme cherchant l'équilibre entre chacun de ses pas. J'avance d'encore quelques mètres, puis me retourne... plus personne. Je scrute, et distingue un masse étalée dans l'herbe. Encore l'oeuvre macabre de l'attraction terrestre, me dis-je.
Ne distinguant aucune trace de consommation abusive de concombre, je m'approche de l'être dormant et lui demande si je peux l'aider. Se redressant, il me sourit largement et me dit "c'est très gentil, je suis com-plè-te-ment saoul". Ici, si la précision n'était pas indispensable, elle dévoilait, au moins, l'honnêteté de la personne.

Bras d'sus, bras d'sous, nous serpentons, donc, en direction de la maison parentale. Sur la route, me parlant tantôt français, tantôt anglais et tantôt allemand, il me raconte ses vacances en France et séquence ses propos par des "sorry sorry sorry", chaque fois que ses pas aléatoires nous font dériver du chemin.

Après 15 minutes de marche, les 150 mètres qui nous séparaient de sa porte d'entrée, ont été parcourus et nous nous asseyons sur le perron. Il fume une cigarette et m'explique pourquoi il se doit de parler anglais couramment: Monsieur est militaire.
De mon côté, n'étant plus vraiment étonné d'entendre des Allemands parler anglais, l'information m'éclaire sur une toute autre chose: 'comment peut-il encore parler et marcher quand, quelques minutes plus tôt, il s'endormait sur un trottoir?'.

La communication, compliquée au départ, s'améliore au fil des cigarettes, et c'est après la quatrième que nous nous séparons, le jour s'étant levé.

En rentrant, je repense à la discussion et résume: les soldats français sont des gens sympathiques qui tiennent très bien l'alcool*.
Mais plus sérieusement: les militaires européens se battent côte à côte pour les mêmes causes: la sécurité Nationale et Européenne, la lutte pour la démocratie dans tous les pays (en Afghanistan, notamment), et le surpassement définitif des Etats-Unis. Enfin, le racisme est bien présent dans ce milieu, mais s'il est commun dans les "bas rangs", son intensité diminue fortement pour les supérieurs.

Comme toujours, la discussion ouvre des pistes et ce pour, chaque fois, avancer un peu plus dans ses réflexions.

J'aurai donc probablement la chance, lors de la prochaine permission de Martin (lequel n'est point Mormon), d'aller boire "du vin rouge" avec une bande de militaires allemands.
Ah ! Les voyages...


* Bloquons la circulaire de la Direction Centrale de la Police: si même nos CRS se mettent à la tisane, on va se foutre de nous, en Europe !

mardi 24 mai 2011

Mein Griechischer Mitbewohner -- Mon colocataire Grec.

On parlerait presque de ghettoïsation si les locataires ne venaient pas, précisément, des quatre coins du monde. Dans ma rue, celle du 18 Octobre, vivent des tas d'étudiants. C'est, pourrait-on dire, le repère des ERASMUS.
L'un de mes amis vit avec un Jordanien depuis le départ de son colocataire Coréen, une autre partage sa cuisine avec une Libanaise, et ce ne sont que des exemples.

Moi, de mon côté, j'ai hérité d'un grand, d'un long Grec. Si haut qu'il pencherait presque lorsque se promenant dans la cuisine, vêtu d'un simple slip, il téléphone d'une main et jette des poignées d'épices dans la poêle de l'autre. C'est, je pense, l'image que je garderai de ce personnage sympathiquement excentrique, qui hurle au téléphone quand sa soeur l'appelle de bon matin.

Un jour, percevant une musique, infernale par son rythme platonique et par la voix incroyablement fausse du chanteur, tourner en boucle pendant une après-midi entière, je finis par m'inquiéter et m'approchai  discrètement de sa porte. J'étais accoutumé aux abominables chansons que, souvent, il me faisait endurer; mais cette fois, il y avait quelque chose de plus, et j'étais soudain envahi par un malaise dont je ne cernais pas l'origine. Je tendis l'oreille jusqu'à sentir son contact sur la porte du géant et, soudain, réalisai: Stelios chantait.
Le bond que je fis à cet instant me transporta bien loin de la porte et je m'aperçus, stupéfait, qu'aucun gloussement ne m'échappa. Ma surprise, probablement, fut trop intense pour qu'un tel phénomène n'apparût.
Je repartis m'enfermer dans ma chambre pour le reste de la journée et je craignis durant plusieurs jours qu'il ne me demandât mon avis sur ses compositions.

Cet article pourrait s'étaler sur des pages tant les anecdotes sont nombreuses, mais si l'on devait n'en citer qu'une, la voici.
Un soir où, assis sur mon lit, je parcourais les dernières pages d'un livre de Chimie avant de m'endormir, je fus surpris par un appel fort peu banal: Stelios, d'une voix que je n'avais encore jamais entendu, se mit à aboyer: "OLI ! OLI ! HILF MIR !!".
Alors là, deux choses: la première, c'est que l'ami grec m'appelle Oli depuis maintenant des mois. Si bien qu'il chantonne désormais chaque fois qu'il me croise, "ôh-li-ôh-li"; la seconde c'est que "Hilf mir!", en français, signifie "Aide moi!".
Cette parenthèse close, j'en reviens à notre histoire. A peine prévenu, je bondis de ma paillasse et me précipitai vers la porte. En l'ouvrant, je ne pus distinguer à travers l'épaisse fumée qu'une longue silhouette et une source incandescente. Tétanisé, le pyromane se tenait devant la carcasse flamboyante du grille-pain qu'il avait, une fois de plus, oublié de débrancher. Quelques bols d'eau suffirent à venir à bout du feu de joie. Le calme revenu, Stelios me proposa de se charger du rangement et m'indiqua qu'il me rembourserait le paquet de céréales dont il ne restait qu'une moitié, calcinée.
Je me souviens avoir mis un certain temps à trouver le sommeil, ce soir là. La semaine suivante, le chanteur se fit peintre et, chantonnant des airs que je finis par reconnaître, transforma le sombre espace en cuisine éclatante.

La fin de cette année universitaire rimera bientôt avec un départ définitif d'Allemagne pour mon compère; il sera probablement aisé de trouver, en France, quelqu'un de plus sympathique ou de plus antipathique, mais surement pas quelqu'un capable de rendre la vie en Cité U amusante et imprévisible comme le fit Stelios.

mercredi 18 mai 2011

La Recherche aujourd'hui. Et demain ?

Comme le fait d'être astronaute, pompier ou princesse, celui d'être chimiste est le rêve de tous les enfants! Bon, peut être pas tous... mais les petites expériences avec des petits tubes et des petits produits colorés, tout ça, ça plait!
Aussi, voici un exemple de groupe de recherche qui, las de dépenser des millions (inexistants) dans du matériel hautement sophistiqué, aura su développer des techniques économiques en utilisant leurs petits doigts.
( A parcourir. Notamment la partie jus de framboises à 3min28s )


Préparation d'une cellule photovoltaïque à base de jus de framboise (version anglaise)

C'est le côté de la recherche qui me plait le plus: se creuser la tête sur des sujets de pointe en appliquant des méthodes expérimentales absolument aléatoires. Cependant, ces mêmes méthodes fonctionnent après un certain temps de mise au point et s'avèrent souvent efficaces car bien maitrisées.
On en arrive à rencontrer des équipes qui, de manière ultra-
-professionnelle, vont coller un bout de scotch sur une plaque en verre et la faire tremper dans du jus de framboise pour, quelques heures plus tard, mesurer un courant électrique sortant d'on ne sait où... je tombe sous le charme!

Ici, à Leipzig, comme dans toute la partie Est de l'Allemagne, le Pacte de Solidarité [1]  a permit d'investir dans différents types d'infrastructures: le centre ville est totalement rénové et les nombreuses unités de l'université se remarquent, partout dans la ville, soit par les chantiers d'aménagement, soit par leur architecture très moderne.
Avec ses tout nouveaux laboratoires, la Recherche Lipsienne se porte donc très bien. A tel point que le groupe de travail dans lequel j'ai fait mon stage est totalement saturé par des hordes d'étudiants avides d'expérience dans ce domaine.

Espérons que les travaux dans le Département de Chimie de Nice ayant eu lieu l'année passée sauront séduire, de la même manière, un nombre croissant d'étudiants. Mais là, un tout autre problème se pose, qui concerne la direction vers laquelle l'Université Française a choisi de s'orienter [2]...


[1] - A propos du Pacte de Solidarité:
http://www.bundesregierung.de/nn_239556/Content/FR/StatischeSeiten/Schwerpunkte/Wirtschaftsstandort-Deutschland/aufbau-ost-kasten4.html


[2] - Un court article traitant des Réformes de l'Université Française:
http://www.monde-diplomatique.fr/2011/01/VOILLIOT/20049

samedi 14 mai 2011

Histoire de gros poissons

Le waterpolo est défini par Wikipedia comme "un sport collectif aquatique opposant deux équipes de sept joueurs."
Wikipedia, c'est l'outil pratique et gratuit qui donne des définitions, comme ça, relativement floues mais sur lesquelles on ne crache pas lorsqu'on ne connaît rien au sujet.

Dans le cas du waterpolo, l'Inaverti s'écrira: "Génial! Voilà un moyen d'aller patauger dans une eau chaude et chlorée, en rigolant avec les copains."
Ravi, il se dirigera vers le club de natation le plus proche et enfilera, quelques jours plus tard son maillot de bain mettant en exergue son corps immature.
Mais alors qu'il s'approchera du bassin, le spectacle s'offrant à ses yeux lui fera perdre le sourire: l'eau rougeâtre dans laquelle ses pieds frêles tremperont lui fera pousser un hurlement. Alertés, les treize créatures à la musculature déformée par des années de souffrance lâcheront leur proie, et, laissant flotter la dépouille du feu gardien de buts, glisseront dans cette mare méphitique en direction de l'innocent.

Oui, car ce que Wikipedia ne mentionne cependant pas, ce sont les chiffres: comme le saut à l'élastique et la consommation de bretzels américains, on n'évalue pas le waterpolo par son nombre d'amateurs mais par le nombre d'accidents annuels.

Aussi, pour terminer cet article sur une note positive, j'aimerais ajouter que l'expérience que j'eus lors de mes premières séances fut bien loin du précédent récit. En effet, outre le gardien sonné par un missile reçu en plein nez et un joueur dont l'oeil ne distinguait plus que la couleur verte (toujours ce bon vieux coup de la fourchette), absolument aucun geste agressif n'a été signalé!
Il y a bien sûr l'entraineur qui, de son côté, ne prend pas de gants et qui, insensible à mon regard désolé lorsqu'il hurle des consignes que même mes compères ont peine à cerner, nous astreint à d'abominables 'exercices' que les pires services de renseignement n'auraient jamais osé employer.

 A ceux qui verraient en ce sport, quelque chose d'inaccessible ou pire, de périlleux, j'espère que cette esquisse aura suffit à leur faire voir un autre aspect de ce sport ludique et fraternel.

...et comme dit mon coach: "RECHT OLIVIER, RECHT! SCHNELLER!!"
(littéralement traduit par: "Je te conseille d'aller à droite, Olivier, à droite; légèrement plus rapidement, stp.")